Lonlonyin – Chapitre 4

CAMOUFLER

Autant Ismaël que moi, ne comprenions rien à l’embrouillamini que représentait ma personne. Alors que je ne connaissais cet homme que depuis quelques jours, je me permettais déjà de lui faire des avances très explicites. Mes oncles et tantes se jetteraient à terre de déception s’ils assistaient à la scène. Une femme devait toujours se montrer soumise, et ne jamais prendre les devants. Il me plaisait de briser toutes ces règles qui enchaînaient les femmes, surtout africaines. Ce n’était peut-être pas la meilleure des façons, mais une envie incontrôlable de briser les barrières me possédait. Sans me surprendre, il fit un geste de la main au serveur, paya la facture avant de m’inviter à le suivre vers l’extérieur. Une brise fraiche me fit frissonner, mais je n’y prêtai pas grande attention, encore sous l’emprise de toutes les émotions qui explosaient en moi. À quoi joues-tu, Sènan? ne cessait de me questionner ma conscience. Quelques voitures roulaient dans la rue illuminée par les lampadaires encore fonctionnels. Les taxis-motos tentaient de se creuser un chemin partout, quitte à se faufiler entre les voitures. Ismaël s’arrêta près d’une Mercedes, contre laquelle un jeune homme était adossé.

— Patron, l’appela l’homme en se redressant.

— On va rentrer avec la demoiselle, lui indiqua Ismaël.

— J’ai ma voiture, lui appris-je.

Finalement nous convenions que je les suivrais depuis ma voiture. Bien que ce fut l’occasion de se dégonfler, mes mains moites contrôlant difficilement le volant suivaient la trajectoire du conducteur en face. Nous nous arrêtâmes dans un quartier résidentiel de la haie vive, je garai sous les instructions de Ismaël en face d’une des villas. Lorsque nous pénétrions la demeure, un homme, allongé sur une natte près de l’entrée, se leva à l’entente du bruit de nos pas. Il salua Ismaël, puis moi, et ce fut la même chose pour la ménagère que nous rencontrions dans le grand salon. Je me permis de balayer les lieux du regard, ce qui me confortait dans l’idée du type d’homme qui se tenait près de moi.

— Tu vis seul? l’interrogé-je, lorsqu’il nous servit deux verres.

— Oui, je te l’ai dit la dernière fois, me rappela-t-il gentiment. Je sais que tu vis avec tes parents.

Je masquai maladroitement ma gêne. Au cours des deux dernières semaines, entre le travail qui devenait de plus en plus demandant et les conversations inertes que je tenais avec Ismaël, ma tête ne tenait plus sur mes épaules. Je me rendais compte que je ne savais pas grand-chose de l’homme en face de moi, et que je ne souhaitais pas en apprendre davantage. Je voulais faire ma vie avec un parfait étranger qui ferait taire les gens, sans s’immiscer dans mon âme. Car, elle, elle était sombre, un profond gouffre qui pouvait lui faire perdre la tête.

— Quelle tête en l’air fais-je! m’excusé-je avec un petit sourire innocent.

—Avec ce sourire, tout pourrait se faire pardonner!

Je me rapprochai de lui sans répondre, glissant ma main sur sa cuisse.

—Que m’obtiendrait en plus ce sourire? susurré-je.

Ses yeux naviguèrent entre mes lèvres et mes yeux, avant qu’il ne se penche vers moi pour un baiser enflammé. Je le sentais s’emporter, me laissant seule sur la gare des incertitudes, une boule s’agrandissant dans mon estomac. Lorsqu’il essaya de caresser un de mes seins, je sursautai, reculant immédiatement. Depuis mon opération, j’avais évité toute relation sexuelle, de peur de recevoir un rejet. Je devais en avoir le cœur net maintenant.

— Je dois t’avouer quelque chose, soufflé-je en affrontant le regard de l’homme affamé qui reprenait doucement sa respiration.

— Oui princesse, dis-moi? balbutia-t-il, impatient d’en finir avec cette pause dérangeante.

Je déglutis, serrant fortement le canapé de ma main droite.

— J’ai eu un cancer du sein par le passé. Donc, j’ai subi une ablation mammaire. Je te le dis tout de suite pour qu’il n’y ait pas de surprise!

À ce moment, j’étais livide. Mon corps entier tremblait alors que je tentai de repousser les émotions douloureuses qui étaient associées à ce souvenir. Il cligna des yeux, ne s’empêchant pas de fixer ouvertement ma poitrine.

—Ce problème est vite réglé, t’as qu’à garder ton soutien-gorge! proposa-t-il une fois ses esprits retrouvés.

Je tombai des nues. Mon déjeuner remontait dans ma gorge, forçant sur ma luette pour sortir. Ismaël, qui remarqua ma décomposition, se rapprocha de moi, en parlant :

—Je ne voulais pas te blesser, désolé, je m’étais trop laissé emporter par le moment. Je dois t’avouer que ça fait un moment que j’ai connu une femme. Et avoir une si belle femme que toi, aussi vi…

Se rendant compte de ce qu’il allait dire, il ferma sa bouche. Je me levai, tremblante, et soufflai quelques mots:

– Je vais rentrer.

Sans lui permettre de répliquer, je me dirigeai vers la sortie. Sur la terrasse, le chauffeur qui tenait une discussion animée avec le gardien s’adressa à moi en Mina:

—Tata, ofoan(vous allez bien?)

Je hochai machinalement la tête avant de sortir par la porte encore ouverte. Derrière mon volant, j’aperçus Ismaël qui m’avait emboîté le pas. Il resta debout sans rien dire, la honte rongeant ses traits.

À la maison, avant de débarquer, j’inspirai un long coup, me convainquant que je demeurais belle. Que la réaction d’Ismaël n’avait aucunement entaché ma confiance en moi. Une notification apparut à l’écran de mon téléphone. C’était Nolan qui m’écrivait.

Tu utilises le même mot de passe pour tout! PS Tu n’es plus en incognito sur meetlove. Profites de cette expérience ma belle, apprends à connaître les hommes sur cette plateforme et arrête avec cette obsession stupide. Bonne nuit. Bisous.

Les dizaines d’emojis qu’il avait incrustées dans son message ne parvinrent pas à m’amuser. Nolan et moi avions souvent eu cette fâcheuse manie de nous passer nos mots de passe et d’aller, parfois, mener les conversations l’un de l’autre. Je fourrai le téléphone dans ma sacoche. J’avais envie de supprimer cette application, de ne plus jamais revoir Ismaël et de simplement vivre ma vie.

Je retirai mes chaussures, afin de me rendre dans ma chambre sans faire trop de bruits.

— Tu rentres bien tard.

La voix de maman me fit sursauter. Elle était assise au comptoir de la cuisine, buvant un thé infusé. En comprenant qu’elle ne me laisserait pas continuer mon chemin sans explications, je pénétrai la cuisine.

— Ce n’est rien, j’étais juste sortie, déclaré-je.

— Avec? Car je te trouve bien belle? insista-t-elle.

— Un ami.

Il n’était pas question que j’affiche une mine déconfite en face d’elle. Je me dirigeai vers le levier pour me servir un verre d’eau. Maman avait oublié son téléphone à côté, avec sa bague de fiançailles qu’elle retirait pour faire la vaisselle. L’écran de son téléphone s’illumina, laissant apparaître un message:

Je suis vraiment désolée maman, j’ai merdé avec Sènan.

Ce n’était pas le message, mais le nom de l’expéditeur qui m’interpella. Ismaël.

Chapitre 1

Chapitre 2 (I)

Chapitre 2( II)

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

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