
PERFECTION
Dans la soirée, Ismaël essaya de poursuivre la conversation, me proposant même de faire un appel. Lorsque je me mis finalement au lit, je lançai l’appel.
— Allo, fit une voix roque depuis l’autre bout du fil.
— Ismaël, contente de t’entendre!
— Comment s’est passée ta journée? Tu travailles chez Kwabo, c’est ça ?
— Oui, elle était plutôt routinière. Sauf quelques imprévus. Et la tienne ?
— J’ai gagné une affaire sur laquelle je travaille depuis 2ans. Alors, si ce n’est pas une bonne nouvelle, ça !
— Effectivement! Bravo!
— J’ai vraiment aimé ton profil, et je trouve que tu corresponds à mes attentes. Tendre, intelligente, belle, énuméra-t-il.
Je roulai presque des yeux à l’écoute de sa liste. J’aurais aimé qu’il remarque le “Cœur en 2D” inscrit sur mon profil. Cela ne semblait pas représenter grand-chose, mais décrivait toute ma personne. Nous discutâmes durant quelques minutes, il parla principalement de lui, de ses ambitions, de ce qu’il recherchait chez une femme. Alors que je cherchais l’homme parfait, il désirait la femme parfaite. Cela m’interpellait. Étions-nous tous à la recherche d’une perfection externe afin de combler nos propres défauts? Avions-nous si peur de les affronter, qu’il fallait quelqu’un pour nous en distraire?
Le lendemain, je me réveillai aux environs de six heures. Nous étions samedi. Je me promettais toujours de rattraper le sommeil perdu en semaine, le week-end, mais une force inconnue m’obligeait à me réveiller plus tôt que prévu. Je décidai de faire quelques exercices sportifs, puis après ma douche, je me rendis dans la cuisine. Ma mère s’y trouvait, écrasant des condiments. Je remarquai qu’elle faisait son mélange d’assaisonnement particulier, celui qu’elle faisait principalement pour épater la galerie. Je ne l’interrogeai, supposant qu’elle m’annoncerait bientôt la raison de sa cuisine matinale. En tant que mère au foyer, maman restait très active. Elle s’occupait parfaitement de sa maison, de son époux, et entreprenait quelques commerces à côté. Elle aurait voulu ce rôle pour moi. Hélas, je n’étais pas elle. Papa quant à lui, était juriste, et travaillait aujourd’hui jusqu’à dans l’après-midi.
—Mah.
Je pressai quelques morceaux de citron pour me préparer un thé.
— Sènan, comment vas-tu? me questionna-t-elle en fon.
— Bien, et toi? répliqué-je toujours en fon.
— Bien, je rends grâce. Je t’ai chauffé des gbêli ( beignet fait de manioc), vu que tu n’as pas cessé de m’en parler quand tu étais encore là-bas, me dit-elle d’une petite voix.
En me saisissant d’un morceau, je la scrutai, essayant de deviner ce qu’elle allait me demander. Avec ma mère, les petites attentions comme ça venaient toujours avec un prix.
— On a des invités ce soir. J’aimerais que tu me fasses un bon gâteau flan pour le dessert, continua-t-elle en s’attelant à sa tâche.
—Pas de problème mah, mais qui sont ces invités ?
Elle rougit légèrement, m’obligeant à plisser les yeux.
— Tu te souviens des d’Almeida?
—Brièvement.
— Leurs enfants sont rentrés de Russie, il n’y a pas longtemps, on les a donc invités à manger.
Mes parents connaissaient tellement de monde, que les explications de ma mère auraient pu aggraver ma confusion. Alors, je m’abstins de poser des questions. Elle préparait quelque chose, c’était certain. Un fils? Assurément. J’aidai maman avec le reste des préparatifs avant qu’elle ne m’accompagne chez le concessionnaire pour récupérer ma nouvelle voiture, une RAV4. L’odeur de la voiture neuve changeait de ma Hyundai d’occasion qui m’a longtemps porté durant mon séjour au Canada. Nous finîmes la journée au marché, histoire d’acheter des vêtements à bas prix. Au plus grand plaisir de maman, j’étais très coquette, ce qui représentait notre principal point commun. J’aimais prendre soin de moi, mettre en avant mes atouts. Étrangement, j’aimais séduire et plaire; quant à tout ce qui venait après, ce n’était pas dans mes cordes.
Quand, maman et moi, nous étions assises dans un maquis, au milieu de nos sacs, Ismaël m’avait appelée. J’avais hésité à décrocher, je ne voulais pas embarquer mes parents dans cette histoire avant de l’avoir rencontré en vrai. Je décidai alors de lui envoyer un message:
Je ne suis pas à la maison, je te rappelle dès que je rentre.
D’accord, princesse!
Il avait pris ses aises, dis donc! Lorsque nous fîmes de retour à la maison, j’aidai ma mère à la cuisine, me rappelant d’appeler Ismaël dès que j’aurais un bout de temps. Cela serait probablement après le dîner, finalement, vu combien ma mère me pressait à m’habiller. J’envoyai un message à Ismaël, m’excusant du délai. J’avais quelques autres messages et matchs sur lesquels je ne m’attardai pas. Ce que je trouvais intéressant avec ce site était de pouvoir passer en mode “incognito” pour s’éclipser des regards. Je pouvais donc me concentrer sur Ismaël, peut-être me rendre de nouveau visible s’il ne m’apportait pas ce que je recherchais.
Je me glissai dans une petite robe en tissu, les fines bretelles tombaient sur mes épaules. J’enfilai des sandales et me rendis à la salle à manger. Au même moment, des voix émergèrent du salon, qui était adjacent. Plus tard apparut ma mère, vêtue d’un basin assorti à celui de papa. Avec eux, un homme de la cinquante, et sa femme qui avait l’air plus jeune, et deux autres hommes.
— Comme tu as grandi ma fille! fit l’homme en m’étreignant. Bignon, regarde ta fille, ajouta-t-il à l’attention de sa femme.
— C’est une femme maintenant, répondit-elle en m’étreignant à son tour.
Les deux hommes se présentèrent également rapidement. Le plus âgé, Rodrigue, gardait un petit sourire franc au coin des lèvres. Le plus jeune, Oscar, avait 25 ans, mais dégageait une certaine sagesse par ses regards et ses propos. Nous nous installâmes enfin, moi, au milieu des deux hommes. Je ne trouvai pas de difficultés à tenir la conversation avec eux, ils étaient d’ailleurs très intéressants, surtout Oscar, qui était ingénieur électrique. J’acceptai même de lui donner mon contact, ce à quoi ma mère ne manqua pas de répondre avec un sourire béat. D’ailleurs, cette dernière n’hésita pas à insister sur le fait que j’avais fait le gâteau, et combien tout homme serait heureux de m’avoir comme femme. Cela me demanda un effort surhumain pour ne pas lui lâcher une réplique sèche. S’il y a une chose que les parents africains demandaient, c’étaient de ne jamais leur faire perdre la face en public, règle qu’ils n’hésitaient pas à enfreindre dès qu’il s’agissait de nous.
Ce qui me fit sortir de mes gonds fut un acte déplacé de la part de Rodrigue. Je m’apprêtais à fourrer un morceau de gâteau dans ma bouche quand il glissa doucement sa main sur ma cuisse qu’il serra en faisant mine de manger. Mon sang ne fit qu’un tour dans mes veines. Je laissai un sourire mauvais apparaître sur mon visage, quand je crachai en le regardant droit dans les yeux:
— Tu ne veux pas que je me déshabille carrément pour t’aider?
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)