
MEETLOVE
— Tu es juste magnifique!
Je ne pus retenir mes fous rires à la suite des blagues de Nolan, mon ami le plus proche, qui me complimenta pour une nième fois. J’ajustai mes AirPods en mordant dans le beignet que je tenais en main. Je sirotai une gorgée de la bouillie de mil, avant de parler:
— Tu me manques tellement Nolan, dis-je en faisant la moue.
J’étais dans mon bureau, une quinzaine de minutes me séparaient du début de ma journée de travail. La pièce était spacieuse, murs mauves, grand bureau en bois blanc, et mon diplôme accroché au mur. Comme tous les matins, je prenais mon petit déjeuner que j’achetais chez une marchande dont le stand se trouvait juste en face de l’entreprise.
Mon ami tapa dans ses mains, le vent d’été faisant danser ses cheveux châtains derrière la caméra. Nolan est québécois, nous avons fait nos cinq années d’études et de stages ensemble. J’ai même cohabité avec lui pendant quelques mois, ce dont mes parents n’ont jamais été au courant. Ils en seraient morts, rigola ma conscience.
— Toi aussi Sènan, tellement ! Allez, raconte!
Entendre mon prénom, qu’il tentait toujours de bien prononcer malgré son accent, me fit rire. Nous n’avons pas pu échanger depuis mon arrivée, car nos horaires ne coïncidaient pas. D’ailleurs, lui parler représentait une vraie bouffée d’air frais. Je le considérai durant quelques instants en me rappelant combien il m’a épaulée et rassurée à de multiples occasions. Il laissa sa tête reposer dans sa main libre, assis sur la terrasse de notre café préféré. Je lui fis un brief rapide des événements.
— No way!(Impossible) s’étonna-t-il! Un site de rencontre, toi?
Les yeux gros de surprise, il semblait exiger plus de détails sur mon impulsion de la veille.
— Oui, je dois les faire taire, tu sais. Ça devient épuisant, geins-je.
—C’est une bonne nouvelle, on va te trouver un chum(copain) ! s’extasia-t-il, exposant toutes ses dents.
— Ne t’emporte pas trop, c’est juste pour calmer mes parents, lui rappelé-je. Pour eux, une femme célibataire à 27 ans, c’est la fin du monde.
Il gloussa avant de prendre une gorgée de son thé. Cela me sembla drôle d’avoir aussi rapidement retrouvé mes habitudes: les thés matinaux ont laissé place aux bouillies, et les croissants ont vite été substitués aux beignets. Nous discutâmes encore quelques minutes avant de se dire au revoir.
La journée passa relativement vite, puisqu’elle a consisté à avancer sur l’étude d’un des projets qui m’ont été délégués. À la fin de la journée, l’assistante du patron me fit savoir qu’il voulait me voir. D’origine congolaise, petit de taille, svelte, cheveux coiffés à ras et teint café, Raoul savait quand même imposer sa présence de par son charisme. Il se tenait dans un coin de son grand bureau, debout en face d’un grand tableau blanc orné d’une multitude de calculs.
— Vous avez demandé à me voir? commencé-je, un peu nerveuse.
Il m’adressa un sourire désolé en marchant vers le bureau en bois sombre. Il s’installa dans l’immense siège puis démarra son ordinateur et m’invita à venir voir. Je ne compris pas lorsque j’aperçus ma présentation de la veille à l’écran. Je fronçai les sourcils, dans l’attente d’un éclaircissement.
— Votre talent me surprend, mademoiselle Dossou, parla-t-il enfin. C’est d’ailleurs pourquoi je ne comprends pas tout le grabuge qu’on fait les clients du projet 505.
Je commençai à cerner la situation.
— Malheureusement, ils ont voulu vous retirer.
Il leva la main pour m’arrêter lorsque j’ouvris la bouche pour parler.
— Les raisons ne m’ont pas semblé convaincantes alors comme compromis, je leur ai juste assuré que vous travaillerez avec Julius.
— Il faut que je sois accompagnée d’un homme pour que mon travail soit accepté ? m’indigné-je sans hausser le ton.
— C’est la triste réalité dans ce pays, et dans ce monde, parfois, je vous assure que j’essaierai d’y trouver une solution pour éviter qu’un tel désagrément ne vous soit à nouveau infligé.
Une fois encore, je ne pus empêcher la colère de déflagrer dans mon être. La gestion des émotions avait toujours été un problème pour moi; ce n’était pas que je les laissais trop transparaître, seulement, elles me rongeaient facilement de l’intérieur. Mes sentiments étaient tels des marionnettistes qui s’amusaient à tirer les ficelles de ma personne. Je ne pouvais pas m’opposer à la décision, après tout, ces clients étaient importants et Raoul m’avait directement délégué cette tâche. Malheureusement, alors que certains hommes étaient visionnaires, d’autres ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.
À la sortie du Bureau, je marchai un peu dans les rues du quartier de Calavi où était localisée l’entreprise. Je comptais rentrer en taxi-moto. Je ne m’étais pas encore procuré une voiture, et me servais d’une de celles de mon père, en attendant de finir les formalités avec le concessionnaire. Aujourd’hui, j’avais préféré ne pas conduire. Le ciel sombre, le vent frais, les bruits environnants, tout parvenait à me calmer légèrement. Quelques jeunes s’adonnaient à un spectacle de danse devant une boutique de radio. Ils bougeaient leur corps au rythme endiablé de la musique, me donnant presqu’envie, malgré mes deux pieds gauches, de les accompagner.
Je pris mon téléphone pour filmer, quand je reçus une notification de meetlove, qui m’était complément sorti de la tête. Les quelques hommes avec qui j’avais discuté ce matin avaient échoué sur plusieurs critères. Ma démarche me semblait clairement pathétique, presque vile. Je cliquai sur la notification de match potentiel. L’homme qui apparut était assis à une table de restaurant, chemise bleu nuit embrassant son corps athlétique. Il arborait un sourire charmeur, mais discret. Une barbe ornait son menton, sous des lèvres rosées et ses cheveux étaient coiffés en dégradés. Physique, vérifié, pensé-je. Je n’avais jamais eu une attirance particulière pour un type d’homme, ceux que j’avais fréquentés étaient plus différents les uns que les autres. Malheureusement, je n’avais jamais pu leur offrir ce qu’il fallait. Mon cœur y était, mais il ne semblait pas maîtriser le mode d’emploi de l’amour. J’ai alors enchaîné gaffe sur gaffe, recevant à plusieurs reprises les mêmes remarques. Pas assez attentionnée. Pas assez présente. Trop absorbée par le travail. Peu ouverte. La liste était longue.
Sans plus tarder, j’envoyai un message à Ismaël, mon match.
Salut, belle photo de profile!
Il ne tarda pas à répondre. Une femme entreprenante, qui n’aimerait pas ça ? Je m’éloignai de la foule pour mieux me concentrer sur ma tâche.
Hey, merci! Vous êtes très belle sur votre photo.
La suite de la conversation en fut tellement prévisible que s’en était devenu ennuyant. J’appris qu’il était avocat, vivait aussi à Cotonou. Il me proposa que nous nous rencontrions à une des soirées organisées par la plateforme, afin de faire plus amples connaissances. J’acceptai. L’homme parfait pour mes parents. Il me le fallait.
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)