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Medias:
Interview:
Writer and artist / Écrivaine et artiste
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Medias:
Interview:
LUNATIQUE
Intriguée par ses mots si profonds, je me décidai à répondre au message de Kayin:
Bonjour, on se connaît?
En levant la tête, mes yeux se posèrent sur Ismaël, vêtu d’un costard, qui me fit la bise en me saluant et s’excusant pour le retard. Je le laissai engager la conversation. Je n’avais rien à lui dire, et, si ma mère l’avait cru aussi parfait qu’il avait fallu qu’elle manigance tout ceci, il devait me montrer à quel point il méritait cela. Je sirotai mon verre que le serveur avait apporté quelques minutes plus tôt, ignorant royalement l’homme en face de moi.
— Je comprends tout à fait ta réaction, et j’aurais aimé que tu comprennes la mienne, commença-t-il en croisant ses doigts.
Je levai un sourcil, l’avertissant ouvertement. Il se racla maladroitement la gorge.
— J’ai mal exprimé mes pensées, désolé.
Pour un avocat, il s’exprimait souvent mal, pensé-je.
— Reprenons à zéro, s’il te plait?
Cela me brûlait les lèvres de le questionner sur ma mère, ainsi que sur ses réelles intentions, mais je préférais attendre et en avoir vraiment le cœur net.
— Je te pardonne, mais je reste sur ma réserve, dis-je enfin, brisant mon mutisme.
—Oui, oui, je comprends tout à fait. Je te promets de me rattraper.
Il posa sa main sur la mienne, ce qui me valut un frisson de dégoût.
—Je te trouve ravissante aujourd’hui, me complimenta-t-il. Comment a été ta matinée?
Je haussai les épaules.
— Routinière.
Le reste de notre conversation fut assez platonique. Je lui proposai de venir chez moi le soir, histoire de le présenter à mes parents. Évidemment, il ne trouva pas cela trop tôt, certainement serein à l’idée que son plan se déroulait aussi bien.
Une fois que je rentrai, ma mère avait déjà concocté un bon plan : une sauce aux épinards appelée localement sauce gboma et du riz. J’avais prévenu mes parents quelques heures avant de rentrer que je devais leur présenter quelqu’un. Ma mère avait eu l’air surprise au téléphone, feignant une joie immense à l’idée que je leur présente enfin quelqu’un. Je pris une douche rapidement, enfilai un pantalon en tissu ainsi qu’un débardeur.
À mon retour, l’on sonnait à la porte que je m’empressai d’ouvrir. Devant moi se tenait un Ismaël habillé d’une chemise bleue et un pantalon qui lui allaient comme un gant. Il me fit la bise, et je l’invitai à entrer.
— Papa, maman, je vous présente Ismaël, mon nouvel ami.
Je ne pus m’empêcher de balbutier les derniers mots. Grand sourire aux lèvres, ma mère l’étreignit:
— Oh, mon fils, ravie de te rencontrer!
J’avais du mal à deviner les réelles pensées de ma mère, puisqu’elle aurait agi pareillement avec un autre homme invité à la maison. Papa le salua chaleureusement avant que nous nous installions.
— Alors, Ismaël tu es originaire d’où et comment as-tu rencontré ma fille? l’interrogea ma mère.
— Je suis de Porto-Novo, et nous nous sommes rencontrés sur internet, répondit Ismaël avant de complimenter ma mère sur le repas.
Papa et moi étions plus des spectateurs que des participants de cette conversation.
— Que fais-tu dans la vie?
— Je tiens un cabinet privé d’avocat avec mon frère jumeau.
Je haussai les sourcils, ignorant qu’il avait un frère jumeau. Je ne savais absolument rien de sa famille.
— C’est fabuleux!
Pour le reste de la soirée, maman continua à poser plusieurs questions à Ismaël. À vrai dire c’était plus des questions que j’aurais dû lui poser. Après son départ, j’étais ravie de finalement retrouver mon lit, à présent certaine que ma génitrice connaissait cet homme. D’ailleurs, elle n’avait pas hésité à l’inviter pour une prochaine fois. Quant à mon père, je doutais qu’il eût quelque chose à avoir dans cette histoire.
Finalement, je m’emmitouflai dans mes couvertures pour ouvrir l’application meetlove. J’avais pensé tout l’après-midi au fameux Kayin. Il m’avait répondu:
Nous avions eu une brève interaction lors d’une des soirées de meetlove.
Je fouillai dans ma mémoire, me rappelant de l’homme, qui m’avait fait la remarque sur combien stressante était la soirée rencontre. Je regardai à nouveau les photos de Kayin. J’aurais parié qu’il avait les yeux noirs! La coïncidence me sembla étrange. Et s’il était aussi un envoyé de ma mère ? Toutefois, quelque chose en lui m’attirait. J’avais envie de savoir qui se cachait derrière une légende aussi profonde.
Moi: Je vois à présent! Comment avez-vous retrouvé mon profil? C’est quand même surprenant!
Kayin: J’ai tendance à provoquer mon destin.
Collée à mon téléphone comme une adolescente, je voulus répondre, mais me retins en voyant les trois points indiquant qu’il écrivait.
Kayin: Plus sérieusement, j’ai juste réduit ma zone d’intérêt à Cotonou.
Savoir qu’il avait voulu me retrouver provoquait une légère fierté en moi.
Moi: En voilà un qui y met du sien pour avoir ce qu’il veut!
Après plusieurs minutes d’attente, je ne reçus aucune réponse de sa part. N’était-ce qu’un rêve? J’avais réellement envie de connaître l’homme qui se cachait derrière ce profil, en même temps, j’hésitais.
Kayin: Une question me trotte dans la tête…
Moi: Oui?
Je me reprochai d’avoir trop vite répondu.
Kayin: Miss Sènan (PS joli prénom, pas autant que le mien, mais pas mal), pourquoi vouloir un cœur en 2D?
Un léger sourire se dessina sur mes lèvres en remarquant qu’il était taquin. Je lui proposai qu’on s’appelle pour en parler de vive voix.
— Allô Sènan fit Kayin de sa voix cassée, depuis l’autre bout du fil.
— Allô!
— Je suis heureux de pouvoir enfin te parler, continua-t-il avec un léger rire qui m’arracha un sourire. Alors, dis-moi?
Je me raclai la gorge.
— Je suis une femme assez discrète. J’aime bien prendre des risques, mais je n’en prends quasiment jamais dès que cela m’affecte de trop près. Donc, je ne prends pas l’espace dans toute sa dimension. Je sais que c’est bizarre comme concept.
— Non, pas du tout. Mais si je peux me permettre, ton cœur n’est limité dans l’espace que parce que tu en as décidé ainsi.
— C’est possible. Et toi? Comment te définirais-tu?
Un long silence précéda sa réponse:
— Tu pourras répondre à cette question lorsqu’on se connaîtra mieux! En vérité, une nouvelle personnalité se révèle avec chaque personne que je connais.
Il rigola.
— Un lunatique, alors? le tancé-je.
— Mais non, au contraire, je suis un constant rayon de soleil!
Je gloussai.
— Je serai à l’atelier organisé ce week-end, au cas où tu souhaiterais venir?
— J’y penserai, je suis assez occupée dernièrement, mentis-je.
— Pas de problème!
Nous échangions encore durant quelques minutes. Kayin Radji me fit comprendre qu’il vivait avec sa grand-mère et ses neveux dans le quartier d’Akpakpa. Peintre, il était également originaire de Porto-Novo. L’homme yoruba descendait du royaume d’Oyo, au Nigéria. Ses origines m’interpelaient encore une fois, tout semblait indiquer qu’il serait un espion de ma mère. Pourtant tout ce qu’il inspirait divergeait de l’idéal de ma mère. Ma tête me criait de l’éviter, mais mon corps, lui, était une aiguille et Kayin, un aimant.
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)
IMPOSTEUR
—Étɛ́ wɛ̀ ? ( Qu’est-ce qui ne va pas?)
Je m’habillai rapidement d’un sourire avant de me tourner vers ma génitrice.
— Rien, mâ. Je suis vraiment fatiguée, je vais me coucher. On parle demain, d’accord?
Après les bonnes nuits, je marchai de pas lourds jusqu’à ma chambre. Confuse. Je n’étais que ça: confuse. Maman connaissait-elle Ismaël? C’était absurde! Elle ne savait pas que je m’étais inscrite sur un site de rencontre. Je m’étais jetée dans les bras d’un inconnu, qui avait l’air de connaître ma mère. Avait-elle prévu tout ceci? Mon cerveau bouillonnait. J’étais profondément vexée, insultée. Je me déshabillai avec nonchalance en face de mon miroir. Mon rituel de visionnage corporel avait un goût amer ce soir. Ce qui m’avait permis pendant les dernières années de me persuader de ma beauté paraissait à présent comme un supplice. Mon corps me dégoûtait. Mon esprit m’écœurait.
Une larme roula sur ma joue, pour s’échouer dans le creux de mon cou. La sonnerie de mon téléphone me ramena sur terre. C’était Nolan. Il devait être environ trois heures du matin chez lui. Je décrochai sans engouement.
— No’, commencé-je d’une voix enrouée.
— Que se passe-t-il, Sènan? s’alarma-t-il aussitôt.
— Rien, rien, m’empressé-je de glisser. Tu ne dors pas? Il doit se faire tard!
— C’est Noah qui a insisté pour qu’on se fasse une nuit netflix and chill puisqu’on ne travaille pas demain.
J’entendais les rires de son petit-ami dans le fond, noyés dans les voix des personnages du programme télévisé qu’ils regardaient. Noah et Nolan étaient ensemble depuis une année, ce qui avait créé un petit froid dans notre relation au début de la leur. Nolan était une personne très affectueuse, longtemps complexé par son orientation sexuelle. Alors, dès qu’il avait trouvé un homme qu’il l’aimait, il s’y était donné corps et âme. D’ailleurs, sa retenue et sa peur du rejet l’avaient poussée à me cacher ses préférences, lorsque je lui avais appris que je venais d’une famille chrétienne. Je lui ai simplement expliqué que je l’acceptais comme il était, et que ce n’était pas ma place de le juger.
— Alors, tu as vu mon message? Il y a de très beaux hommes qui ont aimé ton profil, continua-t-il.
Je soupirai en plaçant mes Airpods dans mes oreilles, avant de me glisser dans un peignoir en tissus. Je me laissai nonchalamment tomber sur le lit. Rien qu’entendre parler de ça me donnait envie de dégobiller. Je devais d’abord comprendre ce que tramaient mes parents, puis revoir si je voulais vraiment investir mon temps et mon argent dans un site de rencontre. Nolan me questionna encore sur ce qui me tourmentait. Je lui racontai toute la soirée dans les moindres détails.
—Wow! s’exclama-t-il. Tu penses en discuter avec ta mère pour en avoir le cœur net? s’enquit-il.
— J’hésite. Si elle pense tant que cet homme serait aussi bien pour moi au point de mettre tout ceci en place, peut-être que…
—Ne me dis pas que tu y penses sérieusement? Mais qu’est-ce qui t’arrive? s’indigna mon ami.
— Tu veux que je fasse quoi d’autre? Aller de nouveau perdre mon temps? Qu’est-ce qui ne me dit pas qu’il y en a d’autres là-bas qui sont des espions de mes parents?
—Je ne peux pas te laisser retourner vers un homme qui t’a manqué de respect de cette façon, babe(bébé). Et je ne fais pas référence au supposé complot avec ta mère.
Je me mordis la lèvre, me triturant les doigts.
—Et ce n’est pas parce qu’il y a des imposteurs sur ce site que tous les hommes sont des imposteurs! Je trouve même que les sites de rencontre sont aussi risqués que la vraie vie. Alors, autant prendre les mêmes risques. Je ne te demande pas non plus de te jeter dans les bras du premier venu, comme tu l’as fait avec ce mec. Prends ton temps ma chérie, fais-toi séduire et séduis. Et peut-être que si tu y allais avec tes propres critères à la place de ceux de tes parents…
Je ne l’écoutais plus vraiment, me laissant emporter par la myriade de questions qui surgissaient dans mon esprit. J’avais parfois l’impression de plus penser que vivre. Et à force de vivre dans ma tête, je peinais à cerner le fonctionnement du monde réel.
— Merci Nolan, je vais y penser, finis-je par dire.
— Take care babe (Prends soin de toi, bébé), à tantôt!
À peine raccrocha-t-il qu’un message de Ismaël s’afficha à l’écran.
Je suis sincèrement désolé de t’avoir blessée. Rencontre demain à l’heure du déjeuner pour discuter, s’il te plait?
J’ignorai son message, éteignis mon téléphone et me mis dans mon lit. Un vide que j’expérimentais depuis plusieurs années se mit à envahir mon cœur. Pourquoi mes parents ne pouvaient-ils pas simplement se résigner au fait que j’aimais ma solitude, ou du moins que je ne trouvais pas mon idéal dans leur idée de l’idéal. Sur ces dernières pensées, je m’endormis.
Le lendemain, je me levai assez tôt, pour ne pas rencontrer mes parents, afin de me rendre à la plage située dans le quartier de Fidjrossè. La teinte dorée du soleil de six heures me réchauffait le cœur, tandis que le sable se glissait entre mes orteils. Après quelques minutes de contemplation des vagues océaniques, je me saisis de mon téléphone pour enfin répondre à Ismaël. J’acceptai sa proposition. Quitte à les laisser croire qu’ils me manipulaient, je me devais de jouer au jeu de mes parents, prétendre que je ne savais rien. Ceci me permettrait de savoir jusqu’où ils pouvaient aller.
Durant la matinée assez calme, je travaillai sur le projet 505 pour lequel je me démenais sans recevoir l’appréciation méritée. Je me rendis à l’adresse du restaurant local dans lequel Ismaël m’avait invitée. J’étais un peu en avance. Je m’installai à une des tables en bois, contemplant brièvement le décor. Les murs étaient ornés d’une série de figures que je ne pus déchiffrer, mais qui embellissaient l’endroit. Différents objets artisanaux étaient posés sur les tables. Je passai la commande d’un jus d’hibiscus en attendant. Je répondis rapidement au message d’Oscar, avant que mon attention ne soit attirée vers meetlove que j’avais hésité à supprimer. Je parcourrai les profils des hommes qui avaient aimé le mien, me demandant combien étaient des imposteurs. Dans les messages, celui venant d’un certain Kayin m’interpela:
J’aurais parié que vous n’aviez plus besoin de cette application.
Je me rendis sur son profil. Sur la photo principale se trouvait un homme qui arborait un grand sourire, vêtu d’une chemise en tissus. L’homme au teint ébène était entre quelques palmiers, fixant la caméra de ses yeux en amande aux iris marron. Sur une autre photo, l’homme était différent. Il arborait une expression neutre, tandis que son regard perçait la caméra. Sur la suivante, on le voyait simplement de dos, alors qu’il regardait à l’horizon. En légende, il avait écrit :
Les âmes sœurs, à travers leurs regards, donnent mille raisons d’aimer le monde et se sentir aimé. Et même quand la marrée est haute, ils suffoquent dans les bras l’un de l’autre.
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)
CAMOUFLER
Autant Ismaël que moi, ne comprenions rien à l’embrouillamini que représentait ma personne. Alors que je ne connaissais cet homme que depuis quelques jours, je me permettais déjà de lui faire des avances très explicites. Mes oncles et tantes se jetteraient à terre de déception s’ils assistaient à la scène. Une femme devait toujours se montrer soumise, et ne jamais prendre les devants. Il me plaisait de briser toutes ces règles qui enchaînaient les femmes, surtout africaines. Ce n’était peut-être pas la meilleure des façons, mais une envie incontrôlable de briser les barrières me possédait. Sans me surprendre, il fit un geste de la main au serveur, paya la facture avant de m’inviter à le suivre vers l’extérieur. Une brise fraiche me fit frissonner, mais je n’y prêtai pas grande attention, encore sous l’emprise de toutes les émotions qui explosaient en moi. À quoi joues-tu, Sènan? ne cessait de me questionner ma conscience. Quelques voitures roulaient dans la rue illuminée par les lampadaires encore fonctionnels. Les taxis-motos tentaient de se creuser un chemin partout, quitte à se faufiler entre les voitures. Ismaël s’arrêta près d’une Mercedes, contre laquelle un jeune homme était adossé.
— Patron, l’appela l’homme en se redressant.
— On va rentrer avec la demoiselle, lui indiqua Ismaël.
— J’ai ma voiture, lui appris-je.
Finalement nous convenions que je les suivrais depuis ma voiture. Bien que ce fut l’occasion de se dégonfler, mes mains moites contrôlant difficilement le volant suivaient la trajectoire du conducteur en face. Nous nous arrêtâmes dans un quartier résidentiel de la haie vive, je garai sous les instructions de Ismaël en face d’une des villas. Lorsque nous pénétrions la demeure, un homme, allongé sur une natte près de l’entrée, se leva à l’entente du bruit de nos pas. Il salua Ismaël, puis moi, et ce fut la même chose pour la ménagère que nous rencontrions dans le grand salon. Je me permis de balayer les lieux du regard, ce qui me confortait dans l’idée du type d’homme qui se tenait près de moi.
— Tu vis seul? l’interrogé-je, lorsqu’il nous servit deux verres.
— Oui, je te l’ai dit la dernière fois, me rappela-t-il gentiment. Je sais que tu vis avec tes parents.
Je masquai maladroitement ma gêne. Au cours des deux dernières semaines, entre le travail qui devenait de plus en plus demandant et les conversations inertes que je tenais avec Ismaël, ma tête ne tenait plus sur mes épaules. Je me rendais compte que je ne savais pas grand-chose de l’homme en face de moi, et que je ne souhaitais pas en apprendre davantage. Je voulais faire ma vie avec un parfait étranger qui ferait taire les gens, sans s’immiscer dans mon âme. Car, elle, elle était sombre, un profond gouffre qui pouvait lui faire perdre la tête.
— Quelle tête en l’air fais-je! m’excusé-je avec un petit sourire innocent.
—Avec ce sourire, tout pourrait se faire pardonner!
Je me rapprochai de lui sans répondre, glissant ma main sur sa cuisse.
—Que m’obtiendrait en plus ce sourire? susurré-je.
Ses yeux naviguèrent entre mes lèvres et mes yeux, avant qu’il ne se penche vers moi pour un baiser enflammé. Je le sentais s’emporter, me laissant seule sur la gare des incertitudes, une boule s’agrandissant dans mon estomac. Lorsqu’il essaya de caresser un de mes seins, je sursautai, reculant immédiatement. Depuis mon opération, j’avais évité toute relation sexuelle, de peur de recevoir un rejet. Je devais en avoir le cœur net maintenant.
— Je dois t’avouer quelque chose, soufflé-je en affrontant le regard de l’homme affamé qui reprenait doucement sa respiration.
— Oui princesse, dis-moi? balbutia-t-il, impatient d’en finir avec cette pause dérangeante.
Je déglutis, serrant fortement le canapé de ma main droite.
— J’ai eu un cancer du sein par le passé. Donc, j’ai subi une ablation mammaire. Je te le dis tout de suite pour qu’il n’y ait pas de surprise!
À ce moment, j’étais livide. Mon corps entier tremblait alors que je tentai de repousser les émotions douloureuses qui étaient associées à ce souvenir. Il cligna des yeux, ne s’empêchant pas de fixer ouvertement ma poitrine.
—Ce problème est vite réglé, t’as qu’à garder ton soutien-gorge! proposa-t-il une fois ses esprits retrouvés.
Je tombai des nues. Mon déjeuner remontait dans ma gorge, forçant sur ma luette pour sortir. Ismaël, qui remarqua ma décomposition, se rapprocha de moi, en parlant :
—Je ne voulais pas te blesser, désolé, je m’étais trop laissé emporter par le moment. Je dois t’avouer que ça fait un moment que j’ai connu une femme. Et avoir une si belle femme que toi, aussi vi…
Se rendant compte de ce qu’il allait dire, il ferma sa bouche. Je me levai, tremblante, et soufflai quelques mots:
– Je vais rentrer.
Sans lui permettre de répliquer, je me dirigeai vers la sortie. Sur la terrasse, le chauffeur qui tenait une discussion animée avec le gardien s’adressa à moi en Mina:
—Tata, ofoan(vous allez bien?)
Je hochai machinalement la tête avant de sortir par la porte encore ouverte. Derrière mon volant, j’aperçus Ismaël qui m’avait emboîté le pas. Il resta debout sans rien dire, la honte rongeant ses traits.
À la maison, avant de débarquer, j’inspirai un long coup, me convainquant que je demeurais belle. Que la réaction d’Ismaël n’avait aucunement entaché ma confiance en moi. Une notification apparut à l’écran de mon téléphone. C’était Nolan qui m’écrivait.
Tu utilises le même mot de passe pour tout! PS Tu n’es plus en incognito sur meetlove. Profites de cette expérience ma belle, apprends à connaître les hommes sur cette plateforme et arrête avec cette obsession stupide. Bonne nuit. Bisous.
Les dizaines d’emojis qu’il avait incrustées dans son message ne parvinrent pas à m’amuser. Nolan et moi avions souvent eu cette fâcheuse manie de nous passer nos mots de passe et d’aller, parfois, mener les conversations l’un de l’autre. Je fourrai le téléphone dans ma sacoche. J’avais envie de supprimer cette application, de ne plus jamais revoir Ismaël et de simplement vivre ma vie.
Je retirai mes chaussures, afin de me rendre dans ma chambre sans faire trop de bruits.
— Tu rentres bien tard.
La voix de maman me fit sursauter. Elle était assise au comptoir de la cuisine, buvant un thé infusé. En comprenant qu’elle ne me laisserait pas continuer mon chemin sans explications, je pénétrai la cuisine.
— Ce n’est rien, j’étais juste sortie, déclaré-je.
— Avec? Car je te trouve bien belle? insista-t-elle.
— Un ami.
Il n’était pas question que j’affiche une mine déconfite en face d’elle. Je me dirigeai vers le levier pour me servir un verre d’eau. Maman avait oublié son téléphone à côté, avec sa bague de fiançailles qu’elle retirait pour faire la vaisselle. L’écran de son téléphone s’illumina, laissant apparaître un message:
Je suis vraiment désolée maman, j’ai merdé avec Sènan.
Ce n’était pas le message, mais le nom de l’expéditeur qui m’interpella. Ismaël.
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)
ATTIRANCE
Ignorant les regards stupéfaits posés sur nous, je me levai brusquement et me tournai vers Oscar en lui demandant de prendre ma place. Garder l’honneur de mes parents, oui, mais ne surtout pas permettre à un gros porc de prendre ses aises avec moi. Ce n’était pas tant le jeu de séduction, mais le contexte qu’il l’entourait qui me dérangeait. J’avais clairement montré que mon intérêt se tournait plus vers son frère, ce qui ne l’a pas freiné. Le reste de la soirée fut accompagné d’une ambiance de gêne, Rodrigue n’osant plus affronter mon regard, ce qui ne me dérangea pas.
*
Je lâchai une dernière expiration en me mirant. La robe de couleur bleu foncé moulait discrètement mon corps, les manches mi-longues étaient un peu plus évasées, sauf aux épaules qui étaient découvertes. Je vérifiai une dernière fois mon maquillage avant de prendre la route, remerciant le ciel que mes parents ne soient pas là. Durant le trajet jusqu’à la salle privée dans laquelle se tiendrait la soirée, un poids pesait sur mon cœur. Cette situation demeurait nouvelle pour moi, et qu’importe mes motivations, le stress ne m’épargnait guerre. Quelques fois, j’avais rêvé de ressentir ces choses dont parlaient les gens : cette chaleur au cœur, les fameux papillons dans le ventre, l’envie de me donner entièrement à quelqu’un et de me redécouvrir à travers cette personne. Ces rêves duraient moins de deux secondes, avant que la réalité ne me rattrape. Finalement, je me rendais à l’évidence: l’amour ne m’aimait pas, et je ne désirais aucunement son attention. Alors, pourquoi ressentais-je autant de sentiments contradictoires en me rendant à ce fameux rendez-vous?
J’arrivai dans la petite salle dans laquelle quelques lumières multicolores illuminaient la pénombre. Mon rythme cardiaque s’accéléra soudainement. Pour éviter la crise de panique, je m’appuyai au comptoir du bar. Satanée anxiété! Les mots de Carly semblaient soudainement distants, mon souffle se faisant de plus en plus rare. Je sursautai lorsque quelqu’un me toucha le bras. Cela eut le don de me ramener à la réalité. Je me retrouvai nez à nez avec un homme de taille moyenne, cheveux dégradés dont la partie centrale était twistée, visage ovale, yeux que je devinai noirs malgré la faible intensité lumineuse. Je ne parvins pas à cerner les détails de son visage, mais son parfum me frappa de plein fouet. C’était une odeur sombre renvoyant toutefois une multitude de senteurs florales mêlées, avec un cœur de roses.
— Cette soirée rencontre vous stresse aussi, hein? m’engagea l’homme d’une voix assez éteinte.
Je me contentai de lui adresser un sourire gêné.
— Sènan?
Je reconnaissais cette voix. Je regardai par-dessus mon épaule pour découvrir Ismaël, sourire aux lèvres, et très beau, même sous un voile d’obscurité. Il me fit la bise en disant:
— C’est moi, Ismaël, ravi de te rencontrer, tu es encore plus belle en vrai.
Je lançai un dernier regard à mon précédent interlocuteur qui me sourit, avant de suivre Ismaël. Il plaça sa main dans le creux de mon dos, tout en me conduisant à une des tables.
— C’est très étrange de se retrouver ici, lui confessai-je, sentant l’odeur de son parfum très fort, m’agresser les narines.
— Je ne te le fais pas dire, c’est la première fois que j’assiste à une des soirées, me répondit-il en me tirant la chaise.
Nous nous installâmes. Pendant qu’un serveur prenait sa commande de boisson, je parcourrai la pièce du regard. L’homme de tout à l’heure discutait à présent avec un groupe de femmes, qui semblaient très intéressées par ses propos. Il laissait de légers sourires accompagner ses dires, chacun de ses mouvements en était très fluide, presque comme s’il se livrait à une danse. Mon attention dévia sur les autres personnes présentes: certains semblaient avoir trouvé la perle rare, d’autres donnaient l’impression qu’ils préféraient être ailleurs qu’avec la personne les accompagnants. Je passai ensuite ma commande: un cocktail à l’hibiscus. Ismaël me considéra durant un instant avant de reprendre la conversation :
— As-tu discuté avec d’autres hommes sur la plateforme?
Je retins un froncement de sourcils.
—Oui, mais ce n’était pas très concluant, avouai-je en glissant mes doigts sur la table.
Un single de la chanteuse Zeynab ornait le fond de la soirée, rendant l’atmosphère idéale pour former des couples.
— Pareil pour moi, avec les femmes! Tu as l’air différente, ajouta-t-il à travers un souffle.
— Ne le sommes-nous pas toutes? répliqué-je avec un rictus séducteur.
Il plaça sa main sur la mienne, la chaleur émanant d’elle se dispersant à travers mon épiderme. Le serveur apporta nos breuvages, en acceptant nos remerciements.
—Que recherches-tu chez un homme? me questionna-t-il en retirant sa main pour boire son cocktail.
Rien.
— Élégant, avec un sens de l’humour, une attache pour la famille, ambitieux, énumérai-je en me mettant dans la peau de ma mère.
L’Homme en face de moi m’attirait certes physiquement, mais sa personnalité ne me correspondait pas. D’ailleurs, je n’étais pas certaine du type d’homme qui m’irait, et c’était peut-être la raison pour laquelle j’avais abandonné ce combat. Il esquissa un sourire satisfait, sûr de remplir ces critères. Lorsque les premières notes de la chanson Mon bébé de Petit Miguelito prirent place, Ismaël se leva et m’entraîna avec lui. Il guida les pas de danse, que je tentai de suivre sans savoir exactement où je mettais les pieds. Il glissa sa main dans le bas de mon dos, me rapprocha de lui pour m’entraîner dans une valse déconcertante. Il me tentait de l’embrasser, car la chaleur émanant de sa peau perçait la mienne. Je me contentai de cette danse, laissant l’homme me glisser quelques compliments à l’oreille, titillant le plaisir de la femme en moi.
Aurait-il été aussi attiré par moi, s’il savait pour mes seins ? M’aurait-il trouvé autant féminine qu’il le chantait, ou perdrait-il ses moyens? Je m’interrogeai, supportant la bile acide qui m’irritait la gorge. Tu es belle, Sènan. Aucun homme ne doit te faire oublier ça, me convaincs-je intérieurement.
—Tout va bien?
Quand la voix roque d’Ismaël parvient à mes oreilles, je m’aperçus de mon état. Mes doigts crispés serraient étroitement ses épaules, je ne respirais pratiquement plus, comme prise dans une sorte de paralysie. Je revins brusquement à la réalité, me tançant intérieurement d’avoir laisser le stress me dominer à plusieurs reprises lors d’une soirée que j’étais supposée diriger. Mon compagnon me conduisit à notre table, manifestement inquiet. Pour le rassurer, je touchai délicatement son avant-bras, petit sourire au coin des lèvres.
— Est-ce que tu veux qu’on poursuive la soirée ailleurs? lui proposé-je, la malice habillant mon visage.
Il haussa les sourcils, confus, avant que ses traits ne s’éclairent de nouveau quand il comprit ma proposition. Bien qu’elle ait mal démarré, je me promis qu’après cette soirée, il ne pourrait plus se passer de moi.
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)
PERFECTION
Dans la soirée, Ismaël essaya de poursuivre la conversation, me proposant même de faire un appel. Lorsque je me mis finalement au lit, je lançai l’appel.
— Allo, fit une voix roque depuis l’autre bout du fil.
— Ismaël, contente de t’entendre!
— Comment s’est passée ta journée? Tu travailles chez Kwabo, c’est ça ?
— Oui, elle était plutôt routinière. Sauf quelques imprévus. Et la tienne ?
— J’ai gagné une affaire sur laquelle je travaille depuis 2ans. Alors, si ce n’est pas une bonne nouvelle, ça !
— Effectivement! Bravo!
— J’ai vraiment aimé ton profil, et je trouve que tu corresponds à mes attentes. Tendre, intelligente, belle, énuméra-t-il.
Je roulai presque des yeux à l’écoute de sa liste. J’aurais aimé qu’il remarque le “Cœur en 2D” inscrit sur mon profil. Cela ne semblait pas représenter grand-chose, mais décrivait toute ma personne. Nous discutâmes durant quelques minutes, il parla principalement de lui, de ses ambitions, de ce qu’il recherchait chez une femme. Alors que je cherchais l’homme parfait, il désirait la femme parfaite. Cela m’interpellait. Étions-nous tous à la recherche d’une perfection externe afin de combler nos propres défauts? Avions-nous si peur de les affronter, qu’il fallait quelqu’un pour nous en distraire?
Le lendemain, je me réveillai aux environs de six heures. Nous étions samedi. Je me promettais toujours de rattraper le sommeil perdu en semaine, le week-end, mais une force inconnue m’obligeait à me réveiller plus tôt que prévu. Je décidai de faire quelques exercices sportifs, puis après ma douche, je me rendis dans la cuisine. Ma mère s’y trouvait, écrasant des condiments. Je remarquai qu’elle faisait son mélange d’assaisonnement particulier, celui qu’elle faisait principalement pour épater la galerie. Je ne l’interrogeai, supposant qu’elle m’annoncerait bientôt la raison de sa cuisine matinale. En tant que mère au foyer, maman restait très active. Elle s’occupait parfaitement de sa maison, de son époux, et entreprenait quelques commerces à côté. Elle aurait voulu ce rôle pour moi. Hélas, je n’étais pas elle. Papa quant à lui, était juriste, et travaillait aujourd’hui jusqu’à dans l’après-midi.
—Mah.
Je pressai quelques morceaux de citron pour me préparer un thé.
— Sènan, comment vas-tu? me questionna-t-elle en fon.
— Bien, et toi? répliqué-je toujours en fon.
— Bien, je rends grâce. Je t’ai chauffé des gbêli ( beignet fait de manioc), vu que tu n’as pas cessé de m’en parler quand tu étais encore là-bas, me dit-elle d’une petite voix.
En me saisissant d’un morceau, je la scrutai, essayant de deviner ce qu’elle allait me demander. Avec ma mère, les petites attentions comme ça venaient toujours avec un prix.
— On a des invités ce soir. J’aimerais que tu me fasses un bon gâteau flan pour le dessert, continua-t-elle en s’attelant à sa tâche.
—Pas de problème mah, mais qui sont ces invités ?
Elle rougit légèrement, m’obligeant à plisser les yeux.
— Tu te souviens des d’Almeida?
—Brièvement.
— Leurs enfants sont rentrés de Russie, il n’y a pas longtemps, on les a donc invités à manger.
Mes parents connaissaient tellement de monde, que les explications de ma mère auraient pu aggraver ma confusion. Alors, je m’abstins de poser des questions. Elle préparait quelque chose, c’était certain. Un fils? Assurément. J’aidai maman avec le reste des préparatifs avant qu’elle ne m’accompagne chez le concessionnaire pour récupérer ma nouvelle voiture, une RAV4. L’odeur de la voiture neuve changeait de ma Hyundai d’occasion qui m’a longtemps porté durant mon séjour au Canada. Nous finîmes la journée au marché, histoire d’acheter des vêtements à bas prix. Au plus grand plaisir de maman, j’étais très coquette, ce qui représentait notre principal point commun. J’aimais prendre soin de moi, mettre en avant mes atouts. Étrangement, j’aimais séduire et plaire; quant à tout ce qui venait après, ce n’était pas dans mes cordes.
Quand, maman et moi, nous étions assises dans un maquis, au milieu de nos sacs, Ismaël m’avait appelée. J’avais hésité à décrocher, je ne voulais pas embarquer mes parents dans cette histoire avant de l’avoir rencontré en vrai. Je décidai alors de lui envoyer un message:
Je ne suis pas à la maison, je te rappelle dès que je rentre.
D’accord, princesse!
Il avait pris ses aises, dis donc! Lorsque nous fîmes de retour à la maison, j’aidai ma mère à la cuisine, me rappelant d’appeler Ismaël dès que j’aurais un bout de temps. Cela serait probablement après le dîner, finalement, vu combien ma mère me pressait à m’habiller. J’envoyai un message à Ismaël, m’excusant du délai. J’avais quelques autres messages et matchs sur lesquels je ne m’attardai pas. Ce que je trouvais intéressant avec ce site était de pouvoir passer en mode “incognito” pour s’éclipser des regards. Je pouvais donc me concentrer sur Ismaël, peut-être me rendre de nouveau visible s’il ne m’apportait pas ce que je recherchais.
Je me glissai dans une petite robe en tissu, les fines bretelles tombaient sur mes épaules. J’enfilai des sandales et me rendis à la salle à manger. Au même moment, des voix émergèrent du salon, qui était adjacent. Plus tard apparut ma mère, vêtue d’un basin assorti à celui de papa. Avec eux, un homme de la cinquante, et sa femme qui avait l’air plus jeune, et deux autres hommes.
— Comme tu as grandi ma fille! fit l’homme en m’étreignant. Bignon, regarde ta fille, ajouta-t-il à l’attention de sa femme.
— C’est une femme maintenant, répondit-elle en m’étreignant à son tour.
Les deux hommes se présentèrent également rapidement. Le plus âgé, Rodrigue, gardait un petit sourire franc au coin des lèvres. Le plus jeune, Oscar, avait 25 ans, mais dégageait une certaine sagesse par ses regards et ses propos. Nous nous installâmes enfin, moi, au milieu des deux hommes. Je ne trouvai pas de difficultés à tenir la conversation avec eux, ils étaient d’ailleurs très intéressants, surtout Oscar, qui était ingénieur électrique. J’acceptai même de lui donner mon contact, ce à quoi ma mère ne manqua pas de répondre avec un sourire béat. D’ailleurs, cette dernière n’hésita pas à insister sur le fait que j’avais fait le gâteau, et combien tout homme serait heureux de m’avoir comme femme. Cela me demanda un effort surhumain pour ne pas lui lâcher une réplique sèche. S’il y a une chose que les parents africains demandaient, c’étaient de ne jamais leur faire perdre la face en public, règle qu’ils n’hésitaient pas à enfreindre dès qu’il s’agissait de nous.
Ce qui me fit sortir de mes gonds fut un acte déplacé de la part de Rodrigue. Je m’apprêtais à fourrer un morceau de gâteau dans ma bouche quand il glissa doucement sa main sur ma cuisse qu’il serra en faisant mine de manger. Mon sang ne fit qu’un tour dans mes veines. Je laissai un sourire mauvais apparaître sur mon visage, quand je crachai en le regardant droit dans les yeux:
— Tu ne veux pas que je me déshabille carrément pour t’aider?
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)
MEETLOVE
— Tu es juste magnifique!
Je ne pus retenir mes fous rires à la suite des blagues de Nolan, mon ami le plus proche, qui me complimenta pour une nième fois. J’ajustai mes AirPods en mordant dans le beignet que je tenais en main. Je sirotai une gorgée de la bouillie de mil, avant de parler:
— Tu me manques tellement Nolan, dis-je en faisant la moue.
J’étais dans mon bureau, une quinzaine de minutes me séparaient du début de ma journée de travail. La pièce était spacieuse, murs mauves, grand bureau en bois blanc, et mon diplôme accroché au mur. Comme tous les matins, je prenais mon petit déjeuner que j’achetais chez une marchande dont le stand se trouvait juste en face de l’entreprise.
Mon ami tapa dans ses mains, le vent d’été faisant danser ses cheveux châtains derrière la caméra. Nolan est québécois, nous avons fait nos cinq années d’études et de stages ensemble. J’ai même cohabité avec lui pendant quelques mois, ce dont mes parents n’ont jamais été au courant. Ils en seraient morts, rigola ma conscience.
— Toi aussi Sènan, tellement ! Allez, raconte!
Entendre mon prénom, qu’il tentait toujours de bien prononcer malgré son accent, me fit rire. Nous n’avons pas pu échanger depuis mon arrivée, car nos horaires ne coïncidaient pas. D’ailleurs, lui parler représentait une vraie bouffée d’air frais. Je le considérai durant quelques instants en me rappelant combien il m’a épaulée et rassurée à de multiples occasions. Il laissa sa tête reposer dans sa main libre, assis sur la terrasse de notre café préféré. Je lui fis un brief rapide des événements.
— No way!(Impossible) s’étonna-t-il! Un site de rencontre, toi?
Les yeux gros de surprise, il semblait exiger plus de détails sur mon impulsion de la veille.
— Oui, je dois les faire taire, tu sais. Ça devient épuisant, geins-je.
—C’est une bonne nouvelle, on va te trouver un chum(copain) ! s’extasia-t-il, exposant toutes ses dents.
— Ne t’emporte pas trop, c’est juste pour calmer mes parents, lui rappelé-je. Pour eux, une femme célibataire à 27 ans, c’est la fin du monde.
Il gloussa avant de prendre une gorgée de son thé. Cela me sembla drôle d’avoir aussi rapidement retrouvé mes habitudes: les thés matinaux ont laissé place aux bouillies, et les croissants ont vite été substitués aux beignets. Nous discutâmes encore quelques minutes avant de se dire au revoir.
La journée passa relativement vite, puisqu’elle a consisté à avancer sur l’étude d’un des projets qui m’ont été délégués. À la fin de la journée, l’assistante du patron me fit savoir qu’il voulait me voir. D’origine congolaise, petit de taille, svelte, cheveux coiffés à ras et teint café, Raoul savait quand même imposer sa présence de par son charisme. Il se tenait dans un coin de son grand bureau, debout en face d’un grand tableau blanc orné d’une multitude de calculs.
— Vous avez demandé à me voir? commencé-je, un peu nerveuse.
Il m’adressa un sourire désolé en marchant vers le bureau en bois sombre. Il s’installa dans l’immense siège puis démarra son ordinateur et m’invita à venir voir. Je ne compris pas lorsque j’aperçus ma présentation de la veille à l’écran. Je fronçai les sourcils, dans l’attente d’un éclaircissement.
— Votre talent me surprend, mademoiselle Dossou, parla-t-il enfin. C’est d’ailleurs pourquoi je ne comprends pas tout le grabuge qu’on fait les clients du projet 505.
Je commençai à cerner la situation.
— Malheureusement, ils ont voulu vous retirer.
Il leva la main pour m’arrêter lorsque j’ouvris la bouche pour parler.
— Les raisons ne m’ont pas semblé convaincantes alors comme compromis, je leur ai juste assuré que vous travaillerez avec Julius.
— Il faut que je sois accompagnée d’un homme pour que mon travail soit accepté ? m’indigné-je sans hausser le ton.
— C’est la triste réalité dans ce pays, et dans ce monde, parfois, je vous assure que j’essaierai d’y trouver une solution pour éviter qu’un tel désagrément ne vous soit à nouveau infligé.
Une fois encore, je ne pus empêcher la colère de déflagrer dans mon être. La gestion des émotions avait toujours été un problème pour moi; ce n’était pas que je les laissais trop transparaître, seulement, elles me rongeaient facilement de l’intérieur. Mes sentiments étaient tels des marionnettistes qui s’amusaient à tirer les ficelles de ma personne. Je ne pouvais pas m’opposer à la décision, après tout, ces clients étaient importants et Raoul m’avait directement délégué cette tâche. Malheureusement, alors que certains hommes étaient visionnaires, d’autres ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.
À la sortie du Bureau, je marchai un peu dans les rues du quartier de Calavi où était localisée l’entreprise. Je comptais rentrer en taxi-moto. Je ne m’étais pas encore procuré une voiture, et me servais d’une de celles de mon père, en attendant de finir les formalités avec le concessionnaire. Aujourd’hui, j’avais préféré ne pas conduire. Le ciel sombre, le vent frais, les bruits environnants, tout parvenait à me calmer légèrement. Quelques jeunes s’adonnaient à un spectacle de danse devant une boutique de radio. Ils bougeaient leur corps au rythme endiablé de la musique, me donnant presqu’envie, malgré mes deux pieds gauches, de les accompagner.
Je pris mon téléphone pour filmer, quand je reçus une notification de meetlove, qui m’était complément sorti de la tête. Les quelques hommes avec qui j’avais discuté ce matin avaient échoué sur plusieurs critères. Ma démarche me semblait clairement pathétique, presque vile. Je cliquai sur la notification de match potentiel. L’homme qui apparut était assis à une table de restaurant, chemise bleu nuit embrassant son corps athlétique. Il arborait un sourire charmeur, mais discret. Une barbe ornait son menton, sous des lèvres rosées et ses cheveux étaient coiffés en dégradés. Physique, vérifié, pensé-je. Je n’avais jamais eu une attirance particulière pour un type d’homme, ceux que j’avais fréquentés étaient plus différents les uns que les autres. Malheureusement, je n’avais jamais pu leur offrir ce qu’il fallait. Mon cœur y était, mais il ne semblait pas maîtriser le mode d’emploi de l’amour. J’ai alors enchaîné gaffe sur gaffe, recevant à plusieurs reprises les mêmes remarques. Pas assez attentionnée. Pas assez présente. Trop absorbée par le travail. Peu ouverte. La liste était longue.
Sans plus tarder, j’envoyai un message à Ismaël, mon match.
Salut, belle photo de profile!
Il ne tarda pas à répondre. Une femme entreprenante, qui n’aimerait pas ça ? Je m’éloignai de la foule pour mieux me concentrer sur ma tâche.
Hey, merci! Vous êtes très belle sur votre photo.
La suite de la conversation en fut tellement prévisible que s’en était devenu ennuyant. J’appris qu’il était avocat, vivait aussi à Cotonou. Il me proposa que nous nous rencontrions à une des soirées organisées par la plateforme, afin de faire plus amples connaissances. J’acceptai. L’homme parfait pour mes parents. Il me le fallait.
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)
Impulsion
Inspire, expire. Je répétai mentalement ces consignes, tout en m’efforçant de les respecter. Lorsque Carly, ma thérapeute m’avait proposé cet exercice il y a quelques années, pour atténuer mon anxiété, je n’étais pas convaincue. Puis, je m’y suis mise, et cela s’est transformé en une routine. J’étais assise dans la salle d’attente de l’entreprise de nouveaux clients, mes doigts tapotant mes cuisses, qui elles étaient couvertes du léger tissu bleu de mon tailleur.
— La salle est à vous, m’apprit la jeune réceptionniste qui devait avoir dans la vingtaine.
La femme me conduisit jusqu’à une salle de réunion vide ; sur le trajet, mes yeux restèrent figés sur le balancement de ses longues tresses. J’installai rapidement mon matériel, avant l’arrivée des clients. Pendant que je les attendais, je ne pus m’empêcher de repenser au temps qui filait. J’étais de retour au pays depuis près d’un mois et je travaillais pour une entreprise de conception mécanique.
Un groupe d’hommes mûrs pénétrèrent la salle, arrêtant leur discussion lorsqu’ils m’aperçurent. L’un d’entre eux murmura quelque chose, la confusion habillant son visage. Me retenant de rouler des yeux, je décidai de briser leur silence à mon égard :
— Sènan Dossou, ingénieure chez le groupe Kwabo, c’est moi qui me chargerai des importantes étapes de la conception de ce projet. Ne vous inquiétez pas, je connais mon travail.
Une fureur éclata en moi. Je n’arrivais toujours pas à croire que certaines choses n’avaient aucunement changé. D’un côté les membres de ma famille s’étonnaient que je sois rentrée sans fiancé. D’un autre côté, les gens s’exclamaient quand ils apprenaient ce que je faisais de ma vie. « Une femme, ça ne doit pas faire un travail d’homme ! s’était presque étranglée ma grande tante Kèmi en faisant mine de se ventiler. »
Sans attendre une réponse de la part des hommes, je lançai la projection, qui s’ouvrit sur une brève présentation de mon parcours, histoire de remettre les pendules à l’heure. Finalement, ils se résignèrent à me laisser prendre le projet en main.
À la fin de la journée, je me rendis à la maison de mes parents, avec qui je vivais temporairement. Ils ne semblaient pas être ravis par ma décision de prendre un appartement, car cela signifiait que je comptais rester indépendante pendant, encore, un temps. Après une douche rapide, je m’introduisis dans la chambre dont les murs étaient peints en blanc. Le lit double sur lequel j’avais dormi pendant mon enfance avait été remplacé par un lit queen, ce à quoi je ne m’habituais toujours pas. Les motifs de la literie, représentant quelques symboles des rois d’Abomey, me procuraient toutefois une certaine chaleur. En me dirigeant vers ma garde-robe, mes yeux se laissèrent une fois encore emporter par la vue de mon corps nu dans le miroir. Teint ébène, cheveux crépus, petits bourrelets de part et d’autre du ventre. Plus haut, mes seins, ou du moins la moitié qu’il en restait, pendant, de leurs bouts tissés. Il m’a fallu du temps pour accepter mon corps, et encore plus après l’épisode quelque peu traumatisant de tumeur mammaire que j’ai vécu. Heureusement, c’était bénin, et un retrait chirurgical avait fait l’affaire. Malheureusement, il a fallu une ablation du sein à titre préventif. Je m’habillai sans plus tarder, et rejoignis mes parents pour le diner. Comme des années plus tôt, nous nous retrouvions à trois à table.
— Bonsoir, papa, commencé-je en posant un baiser sur la joue du grand homme noir, habillé d’un simple pagne autour de la hanche.
Je fis la même chose avec ma mère, qui était assise à l’opposé. Maman était une femme à la peau claire, ronde. Ses joues pleines lui donnaient un charme unique et ses sourires ont calmé nombre de mes tourments. Alors que la soirée se déroulait encore bien, avec des discussions un peu légères, la même rengaine, que ces derniers jours, prit encore place.
— Des hommes intéressants rencontrés aujourd’hui ? m’interrogea ma mère, en fon-gbé, ma langue maternelle, tout en me regardant du coin de l’œil.
Je m’imposai un sourire qui n’en demeura pas moins tendu. Je n’avais vraiment pas le cœur à entendre pareil discours ce soir.
— Pas ce soir, s’il te plait, l’imploré-je.
Elle échangea des regards avec mon paternel puis changea de sujet. Plus tard, dans la soirée, quelqu’un frappa à ma porte. Je devinai qu’il s’agissait de maman. Lorsqu’elle entra, un petit sourire gêné plaqué sur les lèvres, la suite semblait évidente. Mes parents avaient cette manie de se concerter puis d’envoyer le plus courageux au loup. Ma mère s’installa aux pieds du lit, rajustant le pagne qu’elle avait attaché autour de sa poitrine.
— Je sais que cette chanson est fatigante, mais nos familles nous posent des questions, Sènan, commença-t-elle en prenant ma main dans les siennes. Je ne sais plus quoi leur répondre. Tu es une si belle femme, tu as si bien réussi.
— Ce n’est pas leur vie, mah, ce n’est ni une course ni un diplôme ! m’exclamé-je.
— Je le sais bien, mais j’ai besoin de petits fils, et les années passent, ma chérie, soutint-elle d’une voix tendre. Ton père a un ami dont le fils…
— On n’en est arrivés à ça ? l’arrêté-je.
— Non, non, tenta-t-elle de me calmer. Ce n’est qu’une proposition, aucune obligation.
Elle voulait dire tout le contraire.
— Si c’est pour, tu sais quoi, un bon homme saura comprendre, ajouta-t-elle d’une voix très basse.
Je fronçai les sourcils. Mes parents avaient mal vécu ma tumeur, encore plus que moi, dirais-je. Je repoussai les souvenirs d’un revers de la main en sentant l’emprise plus soutenue des mains de ma génitrice sur les miennes. Pour eux, j’avais perdu une part de ma féminité, et cela expliquerait ma difficulté à trouver quelqu’un. Je soupirai, manquant d’énergie pour tenir cette discussion. Elle n’insista pas et s’en alla après m’avoir souhaité une bonne nuit.
En parcourant les réseaux sociaux après son départ, histoire d’oublier la conversation, je tombai sur un couple qui était célèbre pour leur rencontre sur un site en ligne. La possibilité me sembla à première vue saugrenue. Que penserait ma famille de ça ? En même temps, c’était ce qu’il voulait non ? Un gendre. Ils n’avaient pas précisé les moyens. Par curiosité, je fis une recherche rapide et m’inscrivis sur un site nommé meetlove. Je répondis aux questions initiales à propos de moi, de ce que je recherchais, etc. J’avais en fait entré tout ce que mes parents voulaient, cela m’importait peu. Mon seul but était de les faire taire pour faire ma vie en paix. Après la création de mon compte, j’étais fixée. Je devais me trouver un homme, un homme parfait. S’il fallait prétendre, je le ferais. Après tout, l’amour est une superstition. Une sélection d’hommes apparut à l’écran. Un sentiment de défi me parcourut. Je me mordis la lèvre inférieure et passai le clair de la nuit à visiter des profils.
Le lendemain matin, j’avais quelques matchs. Il fallait maintenant leur écrire. 1,2,3, action.
Chapitre 2 (I)
Chapitre 2( II)
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